Sakamoto-san est le guide officiel de Gunkanjima mais aussi le responsable de l’association qui tente de faire reconnaître l’île abandonnée auprès de l’UNESCO. Mais le fait le plus intéressant chez Sakamoto-san c’est qu’il a vécu sur l’île et sa mémoire est pleine de souvenirs. Il a été très gentil de partager quelques-uns d’entre-eux avec moi à partir de mots clés que j’ai choisi. Voici donc un beau voyage dans le temps avec un ancien habitant de Gunkanjima.

Les Chambres
Sakamoto-san : En dehors du personnel hébergé dans un bâtiment spécial, la plupart des habitants de l’île étaient des mineurs vivant dans des appartements de deux pièces, de 63m2 ou de 112m2. Pour des familles de cinq personnes, ça semblerait aujourd’hui plutôt petit mais à l’époque c’était simplement un problème d’organisation. L’espace était utilisé de manière optimale. Les appartements avaient tous exactement le même design mais nous leur donnions des apparences complètement différentes. Les anciens habitants de l’île ont des souvenirs très agréables de leurs anciens appartements. Il était facile d’y vivre et tout le monde s’entendait bien.
Les passerelles entre les immeubles simplifiaient les trajets et connectaient ces petits espaces tous ensemble afin de créer une grande communauté.
Avec une telle promiscuité, nous étions forcés de faire des efforts. Tout naturellement, une sorte de sagesse se développa naturellement et même les échanges entre les différents immeubles d’habitation devinrent fort.


Les Toilettes
Sakamoto-san : Avant de déménager au Block 65, j’habitais dans le Block 16-17. Les toilettes étaient partagées par tout le monde. Il y faisait tellement noir que nous y devions utiliser la lumière même en plein jour ! J’avais surtout très peur de m’y rendre pendant la nuit alors à chaque démenagement je priais pour que nous soyons placé près de l’une d’entre-elles…
Dans le passé, les chambres étaient allouées via un système à points. Ces points étaient accordés selon le statut des travailleurs et selon le type ou la taille de la famille. Ce système fût aboli en 1966. Ils n’étaient pas évident de pouvoir se reloger. D’après mon expérience cependant, à chaque fois qu’il y avait un appartement libre, nous pouvions y déménager plutôt facilement.
J’ai eu la chance de pouvoir habiter enfin dans le Block 65. Et vers la fin d’Hashima, j’ai même pu avoir l’honneur de vivre dans un appartement avec ses propres toilettes. C’est plutôt rigolo de penser à ça maintenant… mais à l’époque c’était comme un rêve pour moi d’avoir ma propre salle de bain !


Sur Les Toits
Sakamoto-san : Les toits tiennent une place très importante pour la communauté d’Hashima. Ils avaient de nombreux usages pour nous qui allait bien au delà de celui du simple toit. Certains étaient recouverts d’antennes de télévision. Une antenne à chaque mètre ! Un autre avait son propre banc et même une balançoire.
Pendant l’été, le soir, les habitants se retrouvaient de plus en plus nombreux là-haut. Des étudiants du collège, du lycée, des grand-pères, des grand-mères… et bien-sûr aussi des joueurs de guitare.
C’était réconfortant de savoir qu’il y avait toujours quelqu’un au dessus de nos têtes. Et pour nous, qui habitions dans ce si petits espaces, marcher sur ces toits nous donnait une impression de liberté et de grands espaces.



Les Profs
Sakamoto-san : Je me souviendrai toujours de notre professeur de technologie : Hikawa Sensei. Nous l’appelions “La Tortue”. “Kame-chan”. Il devait avoir la cinquantaine mais ses classes étaient toujours emplies de fous rires. Je ne pouvais pas m’arrêter de rire du début à la fin de ses cours. À chaque début de cours, il y avait toujours des ricanements et des messes basses : notre professeur ne fermait jamais correctement sa braguette après avoir été aux toilettes ! Les élèves se demandaient toujours si il devait le lui dire ou pas mais il s’en rendait toujours compte plus ou moins tard et la fermait vite, très vite. À ce moment là, c’était toujours l’éclat de rire général ! Et le sourire embarrassé du professeur était tellement attendrissant. Ce n’était pas seulement un professeur de techno. Il était aussi chargé de trouver un travail pour les étudiants. En ce temps là, même les élèves qui n’étaient même pas encore au lycée avaient besoin de travailler en dehors des cours.
Il y avait cet autre professeur que nous appelions “Becha”. Il était très strict et son vrai nom était Hirakawa-sensei. Je me souviens avoir reçu de nombreuses claques de sa part. Il ne fallait surtout pas être en retard ou être dissipé sinon c’était la baffe assurée ! Il était effrayant mais grâce à lui nous avons beaucoup appris.
Notre professeur de Japonais, Shio-san (Shioikari-sensei) nous enseigna la vie en général et comment elle nous affecte. Il était relativement très consulté pour tous nos problèmes amoureux !
Même si tout cela remonte à 30 ans maintenant, je me souviens très clairement des traits et caractéristiques de chacun de mes professeurs. C’est sûrement peut-être car nous avions des relations très fortes avec eux, nous autres qui vivions sur une si petite île. Maintenant ces souvenirs d’être grondé me donne un sentiment fort de nostalgie. Un sentiment d’autant plus prononcé quand je regarde un des tableaux où leurs noms sont encore inscrits.

Après Le Bain
Sakamoto-san : Après le bain, j’étais toujours très impatient d’acheter mon jus de fruit au magasin Nomo. Je n’avais pas toujours d’argent de poche alors je suivais toujours mon senpai en espérant qu’il me l’offre. Ça marchait la plupart du temps.
Au magasin Nomo il y avait aussi une fille que nous appelions la Kayo-chan du Magasin Nomo. Elle était adorée de tout le monde et elle était une véritable célébrité sur Hashima. Elle m’accueillait toujours avec le sourire et elle nous donnait envie de rester dans le magasin si longtemps que l’on y prenait froid après le bain. Aujourd’hui, Kayo-chan est toujours en forme. Je la vois se promener dans sa chaise roulante motorisée par-ci par-là. Et comme personne ne connaît véritablement son âge, elle sera toujours la Kayo-chan du Magasin Momo.


Nagasaki City
Sakamoto-san : Beaucoup de gens allaient à Nagasaki le dimanche. Quand j’étais au collège, nous avions besoin d’un certificat de l’école pour nous permettre de quitter l’île. Il fallait aussi être accompagné et ça c’était plutôt bien ennuyeux. Mais enfin, nous étions généralement bien content d’aller à Nagasaki afin de pouvoir profiter de tout ce que nous n’avions pas sur l’île. Faire du shopping ! Acheter des livres, des vêtements ! Avec le certificat de l’école, nous pouvions aussi avoir des réductions.
La première fois que je suis venu sur Hashima (depuis Chikuho), j’ai eu le mal de mer et je détestais le bâteau. Mais après 2-3 mois, ce n’était plus un problème. Peut-être que l’excitation d’aller en ville a complètement rebuté mon mal de mer !
Il y a un quai appelé le Terminal d’Ohato à Nagasaki. C’était notre point d’arrivée depuis Hashima. La rue principale de la ville c’est “Hama no Machi” où se trouve une arcade pleine de commerces. Elle faisait notre bonheur ! C’est quasiment la même que par le passé mais quelques magasins ont disparu… et j’ai comme un sentiment de solitude quand j’y passe aujourd’hui.
C’était ainsi que nous apprécions nos jours de congés ou de vacances. Nous allions à Nagasaki pour la journée et revenions ensuite sur notre île. Nous ne pouvions pas aller plus loin, ni en voiture, ni par le train. Alors, pour nous, Nagasaki était le voyage dont nous rêvions. À chaque fois que je me promène au Terminal d’Ohato, tous ces souvenirs me reviennent.

Regardons le Ballet des Vagues d’Hiver
Sakamoto-san : Le vent du Nord est très fort en Février et tous les jours nous regardions la mer enragée. Durant cette saison, de nombreux bâteaux s’arrêtaient de naviguer et l’activité autour de l’île devenait très calme. Même les marchands ambulants de Takahama ne venaient plus. Moins de ravitaillement, moins de fruits et de légûmes frais. C’était la dur réalité de l’hiver pour nous.
Une fois, j’ai même vu la neige. Je crois que c’était ma première année au collège, ma mémoire est vague mais je me rappelle d’un froid intense qui frappa l’île et nous en profitâmes pour faire un bonhomme de neige devant l’école. Ce fût la seule fois que je vis la neige sur Hashima. Un moment de calme blanc au milieu d’un hiver ténébreux.
Gunkanjima: Wavy Textures
Gunkanjima: Apartments
L’Île Sans Vert
Sakamoto-san : Dans les médias, l’île a été appelée l’île sans vert à plusieurs reprises. Mais c’était seulement vu de l’extérieur, de la perspective de ceux qui n’y habitaient pas. À mon avis, l’île avait beaucoup de vert. La tentation était probablement trop forte et facile de lui apposer ce nom.



Douce Nuit
Sakamoto-san : L’île n’était jamais plongée dans le noir, même au beau milieu de la nuit ; nous pourrions l’appeler la “Cité Sans Sommeil”. Les mines étaient en activité 24/24 et ne s’arrêtaient jamais pour reprendre leur souffle. La lumière était allumée chez ceux qui travaillaient. Rien d’exatravagant, cette lumière, généralement simplement une petite ampoule. Quand le premier shift était terminé, un second set de fenêtres éclairés venaient à replacer les premières. Et de même ensuite pour le troisième et dernier shift. La lumière voyageait ainsi sans jamais ne s’arrêter en passant par toutes les fenêtres. Car oui, il y avait des familles derrière chacune d’entre-elles.
Avec cette lumière nous nous sentions en sécurité, surtout quand nous revenions en bâteau tard le soir. Et les voix des gens pouvaient être entendu même depuis le quai.


Haikyo
Sakamoto-san : Récemment, quand on parle de haikyo, le nom de Gunkanjima revient toujours. Je ne sais pas si il y a un boom des “haikyo” ou quoi, que c’est une nouvelle manie… mais moi, je n’aime pas du tout ce terme. Dans les médias, ils adorent parler de Gunkanjima avec des titres accrocheurs tels que “La Reine des Ruines”, “L’île Abandonnée”, “La Pierre Tombale”, etc… c’est macabre ! Cependant, pour nous qui avons vécu sur l’île et malgré son état délabré, à bout de souffle, c’est toujours… chez nous. D’où l’ont vient. C’est vraiment triste de juxtaposer Hashima avec haikyo ou ruine. Nous savons que c’est la raison pour laquelle l’île gagne de l’attention mais que penserait les gens si nous appelions leur ville natale une ruine ? De plus, depuis que l’île est inhabitée (1974), elle a été vandalisée à de nombreuses reprises. Aujourd’hui, l’île pleure. Elle souffre et s’éteinds, annéantie petit à petit par les causes naturelles mais aussi par des gens – que je ne peux pardonner – qui continuent à vandaliser l’île.

PS : L’île a été vandalisé à plusieurs reprises. Par exemple, l’artiste JR (que vous connaissez peut-être bien que sa véritable identité soit secrète) est l’un des derniers à y avoir essayé de l’utiliser pour en faire l’une de ses oeuvres d’art. Ce qui n’a pas manqué à révolter les anciens habitants de l’île. Ils ont été nombreux à se rendre sur l’île pour la nettoyer après son passage. Une honte car bien-sûr l’image d’étrangers marchant sur l’île en a pris un coup.

Nous finirons maintenant avec des questions un peu plus pragmatiques… 🙂
Est-ce que le succès de l’île vous satisfait ?
Sakamoto-san : Bien-sûr. D’un autre côté, le succès de l’île en tant que spot touristique n’est pas forcément une image positive ses anciens habitants. Mais nous espérons que les touristes songeront à la raison et à l’existence de ce lieu.

L’île est-elle dans un état précaire aujourd’hui ? Est-il possible que tout s’écroule un jour ?
Sakamoto-san : Les bâtiments se décomposent lentement mais le plus inquiétant est l’état très précaire de la digue, cette longue muraille qui entoure et protège l’île. Si cette muraille s’écroule, le reste suivra immédiatement. L’île peut donc disparaître en un instant après un typhon. Il est impératif de réparer cette muraille le plus tôt possible.

Si l’île est inscrite au patrimoine mondiale de l’UNESCO, que se passera t-il ensuite d’après-vous ?
Sakamoto-san : Nous aurons beaucoup plus de visiteurs et il y aura aussi beaucoup d’étrangers. Nous ne sommes pas du tout prêt pour accueillir tout ce monde et les guides parlent seulement japonais. L’île aura aura d’autant plus besoin d’être réparé pour sa protection et la sécurité des visiteurs. Malheureusement, la ville de Nagasaki ne fait rien du tout.

Est-ce que vous avez un message particulier pour tous les adorateurs de l’île ?
Sakamoto-san : J’aimerais que vous vous renseigniez sur l’histoire de cette île avant de venir y prendre des photos. Ces ruines sont un résultat annexe de l’égo de l’homme. Elles ne présentent pas de beauté. Il est impératif de songer à la vie des personnes qui y travaillaient et vivaient. Il ne faut pas visiter l’île pour assouvir sa simple curiosité. Pour beaucoup de gens encore cette île représente leur village natal, leur furusato. Ils l’appelent Hashima et non pas la Battleship Island ou encore Gunkanjima. Je veux que les visiteurs comprennent le message très spécial que cette île porte et les problématiques économique, environmentale et sociale qu’elle transmet. La nature supporte la vie. Hashima nous fait songer au futur et à ses challenges.
Gunkanjima: KitKat
Gunkanjima: He's Watching
Gunkanjima: Apartments
Gunkanjima: Ohayo!
J’en profite en passant pour vous annoncer que je prépare un nouveau projet très excitant à propos de Gunkanjima avec un ami français et une amie japonaise. J’espère que ce projet verra le jour car il n’est pas évident.
????
Retrouvez mes produits exclusifs ci-dessous ! Rendez-vous sur mon Instagram pour plus de photos et des vidéos. Merci à vous !
-
Pendentif Torii€40,00
-
Bracelet Torii€35,00
-
Les Villages du Japon€24,90