Localisé dans les profondeurs fraîches d’une mine oubliée (mais qui m’est familière), et surtout, en plein cœur du Japon, ce détecteur à neutrinos est d’un graphisme saisissant à en faire sautiller la rétine. C’est l’aventure absolue. Je vous y emmène ? Ok, allons explorer le Super-Kamiokande !
Une fois tous les dix ans environ, un nettoyage du détecteur est effectué. Son réservoir de 40 mètres de haut en acier inoxydable étant normalement rempli de 50,000 tonnes d’eau pure, une équipe en descend le niveau lentement, palier par palier, ce qui leur permet de s’y déplacer grâce à de petits bateaux et de nettoyer voire changer les photomultiplicateurs (PMT) qui en tapissent l’intérieur. L’opération prend quelques mois. Nous sommes en 2018, et cette opération est en cours.
C’est le moment ou jamais. Je passe à travers le petit village où se trouve l’accès. À part un signe de bienvenue annonçant le Super-Kamiokande, nous sommes dans une zone totalement lambda de la campagne nippone.
L’entrée du tunnel se trouve près d’ici, mais en profondeur dans la montagne. Elle est totalement banalisée, mais les nombreux avertissements et consignes de sécurité qui se trouvent à l’entrée en révèlent sa cachette.
Je gare la voiture dans un petit chemin, me coiffe de l’un des nombreux casques situés dans un petit cabanon, et commence à descendre dans le tunnel. L’air est rafraîchissant, il n’y a aucune activité.
Je m’enfonce dans le vieux tunnel de mine. Le Super-Kamiokande a été construit à un kilomètre sous terre, et utilise l’ancien réseau de tunnels de la mine de Kamioka. J’ai visité les sections abandonnées de mine dans le passé, c’est ici : la Mine de Kamioka.
Alors que je commence à me demander si je ne suis pas en train de courir à ma perte, une lumière apparaît au loin. J’accélère le pas. C’est l’entrée du Super-Kamiokande ! J’écoute, mais j’entends seulement le vent et le doux ronron des générateurs électriques. Je pousse la porte.
Là, je me retrouve immédiatement sur une nacelle. Je baisse alors les yeux pour me rendre compte que la grande cuve du détecteur est juste là dessous. Est-ce un rêve lucide ? Je presse le bouton pour descendre et la nacelle cahute quelques secondes pour ensuite descendre avec hâte. Je tente de retenir les larmes d’ivresse qui me coulent des yeux.
La nacelle se réceptionne sur une plateforme flottante très instable. Je marche doucement et essaie de m’habituer aux lois physiques de ce lieu si particulier, à moins que ça soit moi qui soit complètement déboussolé. Je tangue. Il vaut mieux faire attention. L’eau étant purifiée à l’extrême, le zouave qui tombe dedans sera exfolié au mieux, dissous au pire.
Je regarde autour de moi. C’est un univers alternatif avec ses milliers d’étoiles qui scintillent dans le calme le plus absolu. L’air est vivifiant, l’eau danse comme de la soie dans le vent.
Un bateau gonflable me tends la pagaie et crisse contre la plateforme. Il me somme d’embarquer. Je m’y installe doucement et pousse la plateforme d’un coup léger de patte. Me voilà propulsé au milieu du détecteur. Difficile de gesticuler ; j’ai peur de tomber, ou de lâcher l’un des 7 appareils photos qui se trémoussent autour de mon cou.
Comment fonctionne un détecteur de neutrinos ?
Bon, alors ! Comment ces neutrinos sont-ils détectés ? Grâce aux photomultiplicateurs (PMT) qui sont disposés partout ici, mais aussi à l’extérieur de cette cuve géante. Il y a environ 13,000 PMTs. Mais ils ne détectent rien d’autre, par erreur ? Non, car de par la localisation du Super-Kamiokande, les seules particules qui peuvent arriver ici sont les neutrinos (grâce à leur masse extrêmement faible et charge nulle).
Les PMTs ressemblent à de grosses ampoules, mais ils sont un peu leurs contraires. Au lieu de transformer l’énergie en lumière, ils transforment les très faibles lumières en courant, et c’est ce courant qui constitue les données récoltées par le Super-Kamiokande. Mais quel est le rapport entre le neutrino et cette faible lumière ?
Bon, vous savez déjà qu’un avion plus rapide que la vitesse du son dans l’air créé une onde de choc, le bang supersonique ? Même chose ici. Le neutrino est plus rapide que la vitesse de la lumière dans l’eau, et à son passage, il crée ainsi une onde de choc : la lumière de Tcherenkov. C’est cette faible lumière qui va frapper les PMTs.
Maintenant, vous savez à peu près comment ça marche. Par contre, quel est le but de ces analyses ? La vie éternelle ? Une source d’énergie propre et illimitée ? Un Internet de l’Univers qui nous permettra de troller avec nos lointains voisins ? Alors que je me pose ces questions, un ange apparaît à mes côtés, afin de répondre à ces questions.
Interview de Christophe
Je vous présente Christophe, un chercheur français installé au Japon depuis 2014. Il a été mon guide pour cette visite hors du commun (mais qui n’est donc en rien de l’exploration urbaine).
Jordy : Pourquoi est-il important de comprendre le neutrino ? Qu’est-ce que cette compréhension pourrait-elle apporter à notre compréhension globale de la physique ou de l’univers ?
Christophe : Pour l’instant, nous étudions essentiellement le neutrino pour des raisons scientifiques. C’est une particule qui n’est pas encore bien connue et comprendre ses propriétés pourrait nous permettre de faire des progrès en physique. L’une des questions principales à laquelle nous nous intéressons est de savoir pourquoi l’univers est constitué de matière et pas d’anti-matière, alors que d’après la physique quantique matière et anti-matière devraient être produites en quantités égales. Nos mesures récentes indiquent que les neutrinos et leurs anti-particules ne se comportent pas exactement de la même façon, ce qui permet de concevoir des explications pour cela.
Les neutrinos sont aussi utilisés comme des messagers et permettent d’étudier des phénomènes astrophysiques tels que les super
Jordy : Quel genre de données et de paramètres sont stockées à propos des neutrinos ? Qu’analyses-tu exactement ?
Christophe : Ce qui est stocké, c’est le moment précis auquel un photomultiplicateur (PMT) a reçu de la lumière, et la quantité de lumière. A partir de ces informations nous essayons de reconstituer ce qu’il s’est passé pour remonter au neutrino.
Jordy : Il y a t-il de véritables utilisations du neutrino ?
Christophe : Au niveau pratique, la seule application que je connaisse est la surveillance des réacteurs nucléaires dans le cadre de la non-prolifération des armes nucléaires. Un réacteur en fonctionnement produit des (anti-)neutrinos. Avec un détecteur de neutrinos, il est donc possible de savoir si un réacteur fonctionne ou non, en particulier si le réacteur a été arrêté pour extraire du plutonium.
Jordy : Les neutrinos détectés par le Super-Kamiokande sont-ils nombreux ? Quels sont les sources ?
Christophe : Nous détectons les neutrinos…
- produits par le soleil
- atmosphériques, produits par les collisions de rayons cosmiques avec des molécules dans l’atmosphère
- artificiels, produits en utilisant un accélérateur de particules (dans le cas de Super-Kamiokande, il est situé dans la préfecture d’Ibaraki)
- produits par une explosion d’une étoile, une supernova. Dans ce cas, un nombre significatif de neutrinos seront détectés sur une courte période de temps. Le chercheur qui a travaillé sur le prédécesseur du Super-Kamiokande, le Kamiokande, a reçu le prix Nobel pour avoir détecté des neutrinos produits par la Supernova 1987.
Il y a également d’autres sources de neutrinos qui contribuent, mais qui sont trop faibles pour qu’on puisse les identifier clairement avec Super-Kamiokande. Par exemple les neutrinos produits par les réacteurs nucléaires aux alentours, ou encore les géo-neutrinos produits par les désintégrations radioactives dans la croûte terrestre.
Jordy : Si les neutrinos sont essentiels, et venaient à disparaître, comme ça, sur un coup de tête de l’univers, pourrais-tu imaginer ce qu’il en résulterait ?
Christophe : Pas facile à dire. Vu qu’il y a un nombre considérable de neutrinos dans l’univers si ils disparaissaient cela diminuerait la quantité totale d’énergie dans l’univers de 1 à 2%, et changerait peut-être un peu la vitesse d’expansion de l’univers. Il me semble que l’effet le plus visible serait indirect: les neutrinos sont produits par les réactions nucléaires, en particulier dans le soleil et les étoiles. Du coup si il n’y a plus ces réactions, plus d’étoiles dans l’univers.
Jordy : Une dernière question, que se passerait-il si notre canot se renverserait ?
Christophe : Je pense essentiellement que nous serions mouillés 😉
Christophe souhaite également apporter des détails techniques à mes explications précédentes :
Christophe : En vérité, ce ne sont pas seulement les neutrinos qui sont détectés. En étant sous terre, le nombre de rayons cosmiques est réduit mais il y en a toujours. Et de la radioactivité naturelle. Dans l’analyse, il faut donc faire le tri entre ces bruits de fond et les neutrinos. De plus, la lumière de Cerenkov n’est pas directement produite par le neutrino, mais par les particules produites lorsqu’un neutrino interagit avec l’une des molécules d’eau. Ces particules produites génèrent de la lumière car elles vont plus vite que la vitesse de la lumière dans l’eau.
Merci Christophe pour tous ces détails passionnants ! Je vais maintenant vous présenter l’une de ses collègues, Yumiko Takenaga.
Autour du Super-Kamiokande
Yumiko s’occupe principalement de la communication autour du Super-Kamiokande, comme par exemple le site officiel, les brochures ou encore les communiqués de presse. Elle va nous en dire plus sur la vie autour du Super-Kamiokande.
Jordy : Est-ce que le Super-Kamiokande a un impact sur le tourisme ici ?
Yumiko : En Mars 2019, un musée à ouvert à Kamioka, à 20 minutes d’ici : c’est le KamiokaLab. Les visiteurs peuvent y découvrir les expérimentations astro-physiques comme celles du Super-Kamiokande. Le musée à été construit par la ville d’Hida, et nous avons supervisé les travaux. En seulement un mois et demi d’ouverture, il y a déjà eu 30,000 visiteurs ! Nous espérons que cela va relancer les communautés locales.
Jordy : La vie ressemble à quoi pour vous tous ?
Yumiko : En fait, la plupart d’entre-nous vivent dans la préfecture de Toyama, à environ une heure de route. Le week-end, beaucoup font des randonnée, ou des barbecues. Autour de l’observatoire, il y a beaucoup d’animaux sauvages, comme des singes, des serpents, des sangliers et des ours. Il y a de nombreux accidents avec eux, sur la route du travail.
Jordy : As-tu des recommendations de lieux à visiter dans les alentours ?
Yumiko : Je recommande, bien-sûr, le KamiokaLab. Mais également le Gattan-go. C’est une attraction qui permet aux visiteurs de faire du vélo sur des anciens rails de train.
Merci à Yumiko pour ces informations précieuses. Quand à moi, je ne suis pas encore allé au KamiokaLab ni au Gattan-go, mais ça sera pour une prochaine fois.
Merci à vous d’avoir lu cette article jusqu’à la fin. J’espère que cette visite vous aura autant impressionnée que moi, et que vous saurez épater votre entourage avec ces nouvelles connaissances ! J’aimerais aussi remercier très chaleureusement le Docteur Suzuki pour toute sa gentillesse et son aide.
PS : Je n’ai jamais autant galéré pour prendre des photos et les travailler ! J’essaierai d’améliorer le travail sur ces photos un jour prochain.
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